Article publié dans ECHOSPLUS,
C’était une urgence. Il est assis devant moi, le regard vide, les gestes ralentis, un corps de sportif mais les épaules courbées. Compte tenu du tableau, je m’attendais à rencontrer des difficultés pour obtenir les informations nécessaires afin d’établir un diagnostic le plus précis possible et un pronostic. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ce jeune homme se met à raconter, essoufflé, son histoire dans un rythme rapide et dans les moindres détails. Il a tellement tout intériorisé…
Durant ce calvaire, il s’est isolé et a gardé le secret pour lui, de peur qu’on l’accuse d’exagérer ou de faire la fine bouche alors qu’il a eu accès à ce poste fabuleux. Je le sentais, il en avait gros sur le cœur, c’était palpable à la fois à travers ses mots mais aussi son corps : péniblement penché vers l’avant pour permettre à la douleur de s’évacuer enfin. Issu d’une famille française d’origine maghrébine, classe moyenne, il est un ingénieur brillant. « J’ai fait bac + 8 pour qu’on ne remette jamais en cause mes compétences. » Il a vécu une enfance heureuse, aucune discrimination au cours de ses études, mais dans la rue et les entrées en boite de nuit, oui. Alors, il savait qu’il y aurait toujours quelqu’un qui l’attendrait au tournant. Seulement, il n’avait imaginé ni cette intensité, ni ce niveau de puérilité. Depuis près de deux ans, embauché dans une entreprise très prestigieuse, il fait l’objet de harcèlement du fait de ses origines de façon absolument ouverte et de la part de ses collègues en majorité « blancs. » Les « basanés » de l’équipe ont longtemps observé sans bouger, mais lorsqu’ils l’ont vu à ce point se dégrader, ils ont accepté de témoigner auprès de la direction. « Vous comprenez, au début, ils craignaient d’être les prochaines cibles, » me dit-il dépité.
Ça a commencé par des blagues racistes, puis des messages disqualifiants, des atteintes à son physique : trop brun, certainement sale. « Mais c’est une blague ! » était la réponse à chacune de ses timides indignations. Ne sachant lui-même s’il était parano ou pas… Lire la suite